Après les montagnes de Kakheti en Géorgie, Bakou semble être un tout autre monde ; le fil du trajet est coupé par un vol en avion. On décide de prendre quelques jours pour rembobiner le film et revenir sur nos pas.

Pendant trois jours, on s'arrête à Shaki, une petite ville à 40 km de la frontière géorgienne.

On aura été jusqu'à Sighnaghi (Géorgie) et à Shaki (Azerbaïdjan). Il ne nous aurait manqué que 115 km pour connecter l'itinéraire par voie de terre.

Retour dans le passé au caravansérail

Shaki est surtout connu pour sa position importante sur les routes de la soie au XVIIIe siècle. Un symbole subsiste de ces routes : le caravansérail.

Les toits du caravansérail de Shaki sont encore couverts d'un peu de neige quand on arrive. On s'assied dans la cour et on écoute le bruit de la neige qui fond et tombe sur les pavés.

La neige fond et tombe du toit.

On loge d'ailleurs au caravansérail, pour reproduire au mieux l'expérience convoi-de-chameaux. (En vrai la chambre double a simplement un prix imbattable.) On est par contre déçu·es, ce n'est pas tout à fait authentique : on a du chauffage et une douche.

Robin entre par une petite porte imbriquée dans le gigantesque portail d'entrée du caravansérail. Le 'hall d'entrée' du caravansérail. Une pièce ronde avec une petite fontaine en son milieu et un balcon intérieur.

La cour intérieure rectangulaire du caravansérail. On voit les deux étages formés d'arches. Au deuxième étage, Robin est debout à une barrière devant une arche. Le soleil l'éclaire et forme des ombres sur les pierres jaunes.

Notre chambre au caravansérail. Le plafond est voûté. Au fond de la pièce, il y a deux petits lits et la fenêtre donnant sur l'extérieur.
Notre chambre

Pour notre plus grand plaisir, il y a un chat "errant" dont s'occupent les employé·es. Il se balade nuit et jour dans la cour et se précipite dans notre chambre dès qu'on ouvre la porte. Il connaît apparemment bien le domaine et s'installe immédiatement à côté du radiateur.

Sous la table, le chat a son côté droit tout contre le chauffage. Le chat a bougé et a maintenant son côté gauche contre le chauffage.
Il chauffe le côté droit, puis le côté gauche.

Le lendemain matin, la femme de ménage nous réprimande gentiment. Elle a repéré notre compagnon illégal ; il ne faut pas le laisser entrer ou les poils vont partout. (C'est bien sûr la traduction "en clair". Dans les faits, elle nous fait plein de mimes qu'on comprend contre notre gré.)

La vieille ville

Le caravansérail est juste l'un parmi de nombreux héritages architecturaux du Khanat de Shaki (1743–1819).

Avant de se faire engouffrer par l'empire Russe, le Khan fait aussi construire un palais magnifique, aux façades colorées et aux fenêtres de bois et de verre miroitant de mille feux. En 2019, le palais du khan de Shaki est ajouté au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Le dessous du toit est décoré de formes et de couleurs.

La façade du palais est décoré de tout un tas de formes et couleurs différentes. Une fenêtre est mise en valeur avec un jeu de miroirs.
À l'intérieur, ces fenêtres créent un jeu de lumière sur les murs couverts de fresques. On ne peut pas vous montrer : photos interdites, et un monsieur nous surveille de près.

Toujours dans les rues de la vieille ville, on entre timidement dans une petite mosquée. L'imam nous invite à entrer et nous accueille à bras ouverts. Il parle assez bien anglais et prend le temps de nous faire visiter le lieu. La mosquée est couverte d'épais tapis colorés, des coussins longent les murs, la lumière du soleil illumine la pièce orientée vers la Mecque.

La porte d'entrée de la mosquée en bois. Devant elle, des tapis colorés où les visiteurs peuvent enlever leurs chaussures.

L'intérieur de la mosquée. Le sol est recouvert de tapis, on voit l'imam qui se prépare pour l'appel à la prière.

On nous prend en photo dans la pièce principale de la mosquée. On a l'air un tout petit peu tendus, mais contents.

Il nous parle des tapis et de leur signification, du cimetière des Khans attenant à la mosquée, nous montre des Corans écrits en arabe et en azéri. On voulait juste jeter un coup d'œil et ne s'attendait pas à un accueil si chaleureux, ça nous touche. Soudainement, l'imam nous quitte pour entonner l'appel à la prière, l'adhan. Les hommes commencent à s'agenouiller sur les tapis, et pour ne pas déranger, on sort s'asseoir sur un banc et on baigne dans ce chant qui se mêle au vent et résonne dans la vallée silencieuse.

L'activité sportive

L'adhan est terminé, mais le vent continue à souffler. C'est une journée ensoleillée, parfaite pour une balade dans la nature !

On avait déjà fait une petite "rando" dans les montagnes de Turquie, à Amasya. Shaki étant adossée aux montagnes du Caucase, il fallait cocher la case rando du coin — on est des sportif·ves !

Sans tarder, on traverse la vieille ville direction les montagnes, vers le départ d'un chemin de rando identifié sur notre carte.

Ruelle pavée de la vieille ville. Les bâtiments qui bordent la rue sont très bas, un petit minaret se dresse au prochain tournant.

Un vieux portail rouillé dans une ruelle de la vieille ville, les montagnes s'élèvent à l'arrière.

Au détour d'une ruelle, une lada bleue pétante contraste avec les pavés et les murs de pierre. La montagne est juste après le tournant.

Aux abords de la ville, on croise un vieux monsieur qui sort de chez lui et nous salue, surpris. On s'échange un salam, puis on gigote pour lui demander le chemin qui monte sur la montagne. En trois mouvements de main, il nous indique la bonne direction : tout droit jusqu'en haut de la ruelle, à gauche, puis à droite. On lui sourit et on acquiesce pour lui communiquer qu'on a bien compris, çox sağol, çox sağol1.

Il nous regarde un moment et décide de nous montrer le chemin lui-même. Tout lentement, il nous guide jusqu'en haut de la pente. De là, il nous refait les signes : gauche, puis droite. Finalement, un geste de la main pour dire au revoir, çox sağol.

La rando est... surprenante. Elle est à l'opposé de notre expérience à Amasya. Les chemins sont à peine empruntables, oubliez le balisage. Les randonneur·ses ne semblent pas être l'audience principale. (Les gens les utilisent surtout pour ramener du bois de chauffe en ville et pour promener leurs moutons.)

En l'espace d'une heure, on passe par des gros cailloux qui roulent sous nos pieds, on s'enfonce dans des chemins encore couverts de 20 cm de neige, on prend un "raccourci" plus dense en arbres et branches que la forêt de la Belle au bois dormant.

Robin lève haut la jambe pour grimper le long d'un 'chemin' fait de grosses pierres.
Dans les cailloux
Clara, un bâton dans la main, tente de marcher sur le côté d'un chemin complètement recouvert de neige.
Dans la neige
Clara doit se baisser pour marcher à travers un fouilli de branches.
Dans les branches (un raccourci selon Robin)
Au loin, des montagnes dont le sol est recouvert de neige et d'arbres nus. L'effet final est assez duveteux.
La texture de montagnes nous rappellent des têtes rasées. Est-on biaisé·es par quelque chose ?
Robin s'accroupit pour boire à une source.
En haut, une source...
Du haut de notre colline, vue sur la ville de Shaki et les montagnes derrière. Le ciel est bleu et parsemé de nuages blancs.
...et une jolie vue à la descente.

Les spécialités culinaires

Qui dit rando, dit surtout estomac qui gargouille à l'arrivée !

Heureusement, il y a à Shaki de quoi remplir tous les estomacs qu'il faut (même celui de Robin). La ville est très connue dans le reste du pays pour ses spécialités, principalement pour son piti et pour son halva.

Le piti est un ragoût très réputé dans tout le pays. Il est préparé au four dans des récipients individuels en terre cuite du même nom. On y met du mouton, des légumes, pois chiche et châtaignes, de l'eau safranée, et pour couronner le tout : un gros morceau de gras.

Le plat en soi est excellent, et on a aussi adoré la façon de le manger.

Dans un petit récipient en terre cuite, des morceaux de viande (et autres ingrédients) sont recouverts d'une couche de gras fondu. Du saffran parsème le piti.
Le piti dans son piti

Lorsque vous êtes repu·e de piti, il y a encore juste la place pour un morceau de halva de Shaki. Tout touriste azéri qui se respecte repartira de Shaki avec quelques kilos de halva, on n'en trouve pas de l'aussi bon ailleurs.

On avait déjà mangé du halva en Turquie, une pâte de sésame homogène et dense qui est à des années lumières de la version de Shaki.

Clara avec une boîte de Shaki halva devant un magasin, à côté d'une statue taille réelle d'un fabricant de halva et sa confection. Un rectangle de Shaki halva. Il est recouvert de tant de miel qu'il en brille.
Le Shaki halva

À Shaki, le terme halva désigne un type de baklava, préparé en couches :

  1. Superposer 8 à 10 rishtas, des sortes de fins treillis de riz.
  2. Ajouter la farce de noisettes, cardamome et graines de coriandre.
  3. Recouvrir de 5 à 10 rishtas supplémentaires.
  4. Quadriller le plat d'un sirop de safran et betterave rouge vibrant.

À la sortie du four, le résultat est décadent, dégouline de miel et colle aux doigts, les couches craquent sous nos dents, on sent la noisette et le cardamome, le rêve. Les locaux nous disent qu'il faut absolument l'accompagner de thé.

Petite difficulté : le Shaki halva ne s'achète qu'en paquets de minimum 500 grammes. On n'a donc pu goûter qu'à une sorte (oui, il y en a cinq ou six) et on en aura encore à Gandja.

Le bazar

Le halva, on en trouve aussi au bazar. Sur la carte, on le repère tout à l'ouest de la ville (5 min en minibus).

Pour ce trajet, le minibus est bien rempli et toutes les places sont prises. Le plafond étant assez bas, Robin est obligé de s'accroupir alors que Clara peut rester debout.

Robin, accroupi juste à côté du chauffeur de minibus.
Robin, couiné à l'avant du minibus

On voit qu'on est à l'extrémité de la ville : il y a une grande rue bétonnée d'où partent des ruelles de graviers, et des commerces de gros avec vue sur les montagnes.

Puis on arrive au bazar, un bric-à-brac fait de tentes et stands en tôle. Il y a des légumes et des fruits, des conserves de toutes sortes, des habits, de l'électronique.

Entre deux stands, on voit régulièrement des "boîtes de coiffeur" : minuscules boîtes de 3m2 où il y a tout juste la place pour le fauteuil de coiffure et le coiffeur.

Une ruelle du marché, des vendeurs de légumes sur le côté. On voit un monsieur avec une grosse veste et un chapeau en fourrure marcher dans notre direction.

Quelques stands de vendeurs de légumes se suivent. Leurs couleurs contrastent avec le paysage blanc et désaturé. En fond, on aperçoit les montagnes duveteuses.

Une lada rouge garée au marché

Un stand de halva au marché. Ils sont disposés dans de grands plats ronds et sont vendus en petits rectangles.

Un vendeur de grenades devant son stand très rouge. Il fait froit, il garde ses mains dans ses poches.

Une partie du marché a fermé, des bâches blanches recouvrent les stands alors que des bâches bleues nous cachent le ciel.

Une dame et ses grandes conserves de légumes en tous genres. Elle pose derrière ses bocaux empilés.

On se balade dans ce labyrinthe. Robin achète des grenades — on est sur la fin de la saison. Un vendeur offre une pomme à Clara — elle refuse, il insiste, Robin la mangera parce qu'elle est allergique.

Plus loin, un vendeur nous fait un début de conversation avec les quelques mots d'anglais qu'il connaît. Il nous demande nos origines : isveçrə pour Robin, vyetnam pour Clara2. Ses yeux s'illuminent.

— Ah, Vietnam! "Hello" in Vietnam?
— "Xin chào"
— Xin chào Vietnam, konnichiwa Japan, ni hao China, annyeong haseyo Korea!

On se quitte alors qu'il résume notre interaction à son voisin.

La routine

En dehors de la vieille ville, des montagnes, et du bazar, il n'y a pas grand chose à Shaki. Il y a deux cafés (dont un est bon), quelques restaurants (surtout touristiques) et un bar à vin.

En trois jours à peine, face à ces choix limités, on adopte une routine malgré nous.

  1. Café à Coffee Central pour commencer la journée. On a même "notre table" vers le fond du café.
  2. [Repas de midi et activité de la journée]
  3. On va boire un verre de vin à Xan Şərab Evi le bar à vin de la ville. Le propriétaire est passionné de vin (et certifié WSET niveau 2) et surtout de vin azéri3. On fait des câlins au chat qui vient profiter du radiateur du bar (Pota), discute avec lui — le propriétaire, pas le chat —, goûte plein de vins. Des moments dont on se souviendra !
  4. Dîner au Qaqarin restauran. Les serveurs nous installent dans une salle privée. Le premier soir, on a enregistré le menu sur nos téléphones, donc on commande tout de suite (souvent un piti, une soupe, et un autre plat pour goûter).
  5. S'il nous faut de l'eau, des snacks ou autres petits achats, on passe par le kiosque en face du restaurant. La vendeuse nous accueille avec un sourire plein de dents en or. Elle est toujours super contente de nous voir et tente de nous faire la conversation comme elle peut.
  6. De retour au caravansérail, "notre chat" nous aperçoit et nous rejoint devant notre porte. On l'a laissé entrer les deux premières nuits, mais on a malheureusement dû arrêter quand la femme de ménage nous a confronté·es.
On est dans une petite pièce ne contenant qu'une table et quelque chaises. Sur la table, on reconnaît des pitis.
Le Qaqarin restauran où on nous case toujours dans une petite pièce privée
Clara fait des câlins au chat de la maison qui s'est couché juste devant le chauffage portable. Des étagères de vin sont en fond.
Le bar à vin Xan Şərab Evi

Nos trois jours à Shaki nous ont laissé un très bon souvenir ! On a été surpris·es d'être aussi bien accueilli·es par les locaux, de rencontrer autant de personnes généreuses et curieuses.

On était inquiet·es de tomber sur un village sur-touristique, dans le style parc d'attraction — ce n'est pas du tout ce qu'on a trouvé. Espérons que la renommée grandissante de Shaki à l'internationale ne la dénature pas trop !

— clara & robin

Footnotes

  1. "Merci beaucoup, merci beaucoup."

  2. On regarde toujours Clara avec un air très confus lorsqu'elle répond qu'elle est Suisse elle aussi. Au mieux (lorsqu'on arrive à communiquer), on va penser qu'elle a étudié en Suisse pour ensuite s'y installer. Au pire, on va juste lui redemander si elle est chinoise. Lorsque la barrière de la langue est trop haute, simplement répondre "Vietnam" a l'air de plus plaire aux gens.

  3. L'industrie du vin en Azerbaïdjan est encore très jeune. Résultat : il y a quelques grandes marques (200 hectares et plus) et très peu de petits producteurs.

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