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Rencontres, céramique bleue et tandir samsa à Boukhara
Aventures dans la grande ville de l'âge d’or islamique
Après Khiva, on prend un train pour la deuxième des trois grandes villes de l'itinéraire "Routes de la soie" en Ouzbékistan : Boukhara.
Dans le train depuis Khiva, on voit qu'il y a d'autres voyageuses, faciles à identifier avec leurs gros sacs-à-dos. On sent qu'on s'approche du cœur touristique de l'Ouzbékistan : si certain·es touristes ne vont pas jusqu'à Khiva ; tout le monde va à Boukhara (ouzbek : Buxoro), grande ville de l'âge d’or de l'Islam.
Des rencontres
On arrive dans le petit hôtel où on passera trois nuits à 15€/nuit, petit-dej inclus. C'est imbattable pour l'Ouzbékistan, donc on n'est qu'à moitié surpris·es quand au petit-dej du lendemain matin, on se retrouve avec les voyageuses du train.
C et S sont françaises et voyagent, comme Niccolò et Maffeo Polo avant elles, vers la Chine sans avion. Elles ont eu plus de courage que nous et sont passées par la Russie, pour éviter le vol qu'on a dû prendre entre Tbilissi et Bakou.
Vingt minutes plus tard, un autre couple entre dans la salle du petit-dej. R et Y sont aussi français·es, mais voyagent dans le sens inverse, direction l'Europe. On échange plein de conseils et on les accompagne pour notre première journée de visites à Boukhara.
On n'est pas très touché·es par la citadelle de Boukhara (l'Ark) : c'est très reconstruit, il y a peu d'explications, et la citadelle est aujourd'hui remplie de petits musées assez aléatoires (un musée équestre et un musée d'histoire naturelle, entre autres) et de magasins de souvenirs.
Le coup de cœur de la journée sera (comme souvent) le marché.
On y fait un grand tour avec R et Y. Robin négocie 200 grammes de thé de 50'000 à 35'000 sum (donc on se fait probablement quand-même rouler, mais moins que si on ne négociait pas du tout). On mange des petits gâteaux encore tout chauds, malgré une dame qui nous fait comprendre qu'il faut absolument attendre d'avoir du thé pour les accompagner. R et Y nous font découvrir le qurt, des petites boules de fromage sec et très salées qui se conservent bien (bon snack pour le train).
Histoire... de la céramique glaçurée d'Asie centrale
On a vu nos premiers exemples de la fameuse céramique glaçurée d'Asie centrale à Khiva, où certaines structures comme Kalta Minor (1852-1855) sont couvertes de céramique bleu turquoise.
Mais Khiva étant relativement récente (et très rénovée), beaucoup de cette architecture a un air artificiel. Quand on y construisait des madrassas au XIXe, on copiait déjà le style "timouride international", créé 500 ans plus tôt. (Le style doit son nom au fait que Timour faisait déporter artistes et artisans de villes conquises, notamment Bagdad, vers Samarcande. Le résultat est un mélange d'influences.)
À Boukhara, on a à l'inverse un exemple précurseur du style timouride : le minaret Kalon (1127) et son discret bandeau de briques glaçurées, juste au-dessous de sa lanterne.
Jusqu'à cette époque, on embellissait les façades uniquement par des jeux de briques sans glaçure, comme on peut le voir sur le minaret. Autour du XIIe, la glaçure apparaît pour mettre ces décorations en valeur. Chère à produire, elle est utilisée avec parcimonie.
Bientôt se développe le style banna'i : une alternance de briques glaçurées (de couleur bleue) et non glaçurées (de couleur brique), appliquée sur de grandes surfaces. On trouve des motifs géométriques (losanges etc.) ou des inscriptions en arabe koufique (une calligraphie de forme carrée, donc très pratique pour écrire en briques).
Puis vient la céramique glaçurée timouride par excellence, qui alterne une glaçure bleu foncé, bleu turquoise, et blanche, avec des délimitations au trait ou par incision.
Finalement, on arrive à des styles plus élaborés, comme des décors polychromes (où on incorpore plus de couleurs, comme le vert, le rouge ou le noir), les décors à la feuille d'or (où une feuille d'or est appliquée sur la glaçure), ou le mo'arraq (l'assemblage de fragments de céramique glaçurée pour former un motif — comme dans une mosaïque — à l'inverse des décors précédents où le motif est dessiné sur des carreaux de céramique).
Pour en savoir plus, le portail Shacultim (SHAhrisabz-CULture-TIMouride) a un très bon article sur l'usage de la céramique glaçurée en Asie Centrale.
Nos premiers tandir samsa
En se baladant une fin de matinée de grisaille, on tombe sur un four tandir qu'un monsieur commence à chauffer.
Quelques heures plus tard, on retourne au coin de rue en question et tombe sur un petit groupe d'une douzaine de personnes qui attendent la fin de la fournée en cours.
Fournée de pain ? Non, fournée de samsa !
C'est ce qu'on appelle être au bon endroit au bon moment.
On se joint au groupe et observe la fin de la préparation. Une fois déterminés cuits, les samsa sont décollés de la paroi du four tandir avec une longue baguette métallique, et récupérés à l'aide d'une araignée fixée au bout d'un manche en bois.
Un assistant (est-ce que le terme "sous-chef" est adapté ici ?) utilise une râpe à fromage pour retirer la couche calcinée du côté du samsa qui était en contact avec la paroi du four. Il garde aussi en mémoire l'ordre d'arrivée des client·es, qui repartent avec des sacs en plastique remplis de 5, 10 samsa au poulet (tovuqli), à la patate (kartoshkali), et/ou à la viande (go'shtli = au bœuf).
On attend en discutant avec un étudiant de Boukhara qui nous aide à passer commande, et en espérant que tout ne sera pas vendu avant notre tour. On repart heureux·ses avec cinq samsa encore brûlants.
Spoiler : ce ne seront pas nos derniers tandir samsa.
— robin & clara